Emile FREZOT
Je me souviens d’Emile FREZOT par Jean ROS
C’était hier… Je me souviens de l’arrivée d’Emile FREZOT à Fès, dans mon Maroc
natal. Hier peut être pas, mais bien courant 1949 ou début 1950, et si je n’arrive pas à me
déterminer, je garde en moi l’impression que la saison sportive était déjà commencée.
Je n’avais pas encore 14 ans à cette époque, j’étais footballeur à l’U.S. Fès bien sûr,
mais je savais aussi jouer au Basket : dribbler, shooter en course… et des deux mains. C’est
que tous mes copains étaient eux licenciés à la section de Basket et que nous passions tout
notre temps libre sur les terrains de plein air à disputer d’interminables tournois de 3 contre 3.
Quand la rumeur de l’arrivée d’Emile FREZOT comme professeur d’EPS au Lycée
Mixte de Fès parvint jusqu’à moi, je connaissais depuis "longtemps" FREZOT le barbu de
l’Equipe de France et du PUC. Il faut dire que j’étais déjà intoxiqué de sport, et que nous
"dévorions", outre les pages sportives du « Courrier du Maroc », les incontournables « But et
Club » et autre « Miroir Sprint ». Le Basket tenait alors une part très importante dans la vie
sociale de Fès, l’équipe de l’U.S.F. était brillante et déplaçait à chaque match un nombreux
public de fassis. La venue d’Emile FREZOT allait la rendre redoutable en raison des rapides
progrès réalisés par les joueurs sur le plan individuel et collectif, et de la présence sur le
terrain d’un tel meneur d’hommes. Cette progression et les nouvelles conceptions enseignées
par le "maître" permirent à l’U.S. Fès de venir à bout des meilleurs, et notamment, de
l’O.C. Khouribga qui dominait alors le Basket marocain depuis plusieurs années en pratiquant
un "ripopo" aussi spectaculaire qu’efficace : une page du Basket marocain se tournait.
FREZOT et l’U.S. Fès échouèrent cependant trois années de suite dans la conquête du titre. Je
me souviens malheureusement aussi des rencontres perdues face à l’ASPTT Casablanca, et de
l’attitude désastreuse du public, de certains responsables, et de la presse casablancaise, qui
précipita le retour à Paris d’Emile FREZOT, blessé par tant d’injustice et terriblement déçu…
Je me souviens d’Emile FREZOT, sortant de chez lui pour se rendre au Lycée ou à
l’entraînement du club, avec son vélo muni d’un guidon de course relevé vers le haut. Je le
revois pédalant les mains en haut du guidon le buste en angle droit. Quelle allure et quel
athlète ! Il avait alors 34 ans. Si je le voyais ainsi souvent, c’est que la maison qu’il occupa
dans les premiers mois de son séjour à Fès, se situait rue Brulart laquelle allait du boulevard
du 4ème Tirailleurs –où j’habitais dans un immeuble au 53– à l’avenue de France, et plus
précisément juste avant l’angle qu’elle formait avec la rue du Commandant Mellier…
Je me souviens aussi du jour, où bien que n’étant pas dans son groupe d’élèves au
lycée, il me demanda, au vu des résultats aux compositions d’EPS, si je ne voulais pas faire
du Basket au lycée, mais surtout au club à l’U.S. Fès. Je vous laisse imaginer… comment
aurais-je pu dire non à un homme pareil, qui pour les enfants que nous étions représentait la
connaissance la plus moderne qui soit du Basket, et qui en outre imposait tellement le respect.
Je me souviens d’Emile FREZOT éducateur dans l’âme, aimant à transmettre ses
connaissances. Un jour, à table, au cours d’un déplacement à Port Lyautey (aujourd’hui
Kénitra) de l’équipe cadets de l’U.S. Fès, saison 1951-1952, qu’il entraînait et manageait
lorsqu’il le pouvait, il entreprit de nous apprendre à nous servir, en tenant la cuillère et la
fourchette d’une main comme peuvent le faire les serveurs de métier. Je ne sais pas si je suis
le seul du groupe d’alors à avoir retenu la leçon, mais je le fais depuis, et j’ai repris parfois à
mon compte dans ma carrière d’entraîneur-éducateur cet enseignement auprès de jeunes, en
précisant toujours de qui je tenais ce "savoir", ce qui m’a permis à chaque fois de lui rendre
un hommage mérité.
Je me souviens d’Emile FREZOT entraîneur-chercheur-stratège, expérimentant auprès
des cadets certains gestes nouveaux auxquels un enfant s’adapte plus vite qu’un adulte, avant
de les appliquer aux seniors de l’équipe 1ère au cours de l’entraînement suivant. C’est ainsi
que dès 1951, j’ai été choisi pour ma petite taille afin d’être initié à la dernière nouveauté : le
shoot coréen, qui préfigurait le shoot en suspension, et qui fut le premier shoot sans appui au
sol au moment où le ballon quitte les mains du joueur. Du point de vue collectif, je me
souviens aussi combien il était visionnaire avec son « mécanisme » qui était déjà, ni plus ni
moins qu’un système d’attaque en continuité tels qu’ils furent vulgarisés 20 ans plus tard, à
partir du début des années 1970.
Je me souviens d’Emile FREZOT pouvant paraître hautain avec sa taille et sa barbe
toujours bien taillée, mais si humain, s’enquérant, l’année du BEPC, auprès de chacun d’entre
nous pour savoir si nous étions reçus, ou jouant au Football avec nous en dribblant avec le
ballon de Basket sur la plage de Mehdia, au retour d’un déplacement à Port Lyautey.
Je me souviens aussi de ma fierté, lorsqu’un journaliste du « Petit Marocain » fît
suivre un jour mon nom de la mention "formé à l’école Frézot"
Jean ROS, ancien basketteur de l'U.S.Fès
(intervention lors du 85è anniversaire de l'Abeille de GIEN le 27 juin 2010)
1 Ancien basketteur de l’Abeille de Gien, Emile Frézot (11 Novembre 1916-21 Janvier 2001) a été International,titulaire de 24 sélections en Equipe de France, il a participé notamment aux Championnats d’Europe de 1939 àKaunas Lituanie (4ème), 1946 à Genève Suisse (4ème), 1947 à Prague Tchécoslovaquie (5ème). Ce fut en outre unentraîneur et un éducateur emblématique aux méthodes modernes, qui aura marqué profondément son époque.
Emile Frézot, son épouse Jacqueline et son jeune fils Jean, vécurent à Fès d’Avril 1949 à Juin 1952.
Ripopo: terme généralement utilisé dans les années 1930 et 1940, pour qualifier le Basket spontané et intuitif, pratiqué alors en France, fait de passes courtes et rapides, sur des terrains extérieurs en terre battue et avec des ballons à vessie aux rondeurs parfois incertaines